Le Magazine
Tous étoilés, tous notés. Tous juges et partie !
Noter (verbe transitif) : 1. Marquer d’un signe ou écrire (ce dont on veut garder l’indication, se souvenir). 2. Prêter attention à (qqch.). 3. Apprécier par une observation, une note chiffrée.
Pendant des années, la remise des bulletins scolaires a été un moment d’émotions. Entre joie, déception, colère, incompréhension, nous recevions nos notes. Des notes censées représenter l’état de nos connaissances et, in fine, censées nous permettre de nous évaluer par rapport aux autres.
Désormais, en tant que consommateur, c’est quasi quotidiennement que nous distribuons ou recevons des notes. Logements, chauffeurs, boutiques, médecins, avocats… on a largement de quoi s’exprimer.
Internet a banalisé la notation des produits et services, des collaborateurs et membres.
93 % des internautes ont recours à la notation, 72 % d’entre eux ayant déjà renoncé à un achat après en avoir consulté (sondage Yougov).
Des services publics aux pure players, en passant par les plateformes collaboratives, tous veulent avoir notre retour d’expérience. Véritable bienveillance ?
« Votre avis nous intéresse ! »
À peine avons-nous déballé notre carton ou profité de notre service que ce trigger email arrive sur notre messagerie. Hôtellerie, prêt-à-porter, covoiturage, application mobile : nous sommes cordialement invités à commenter et évaluer ce pour quoi nous avons payé. C’est cette évaluation qui va instaurer un climat de confiance avec les consommateurs et qui va les rassurer. Il est vrai que Internet tend à désincarner les organisations. Face à l’absence « physique » de relation-clients, la réassurance passe par la recommandation de ses pairs. Mais attention, afficher la note parfaite s’avère suspicieux. En jouant le jeu de la notation, les entreprises cherchent plus de transparence. Et comme l’annonce le dicton: nul n’est parfait.
Au-delà de l’image, les évaluations permettent aux entreprises de déterminer des leviers d’amélioration. Sur leurs process, l’ergonomie de leur interface, la qualité de leurs produits. Mais ils sont surtout un formidable gage de leur fiabilité. Pour preuve : les ⭐️ récoltées sur les Google My Business ont une incidence sur les SERP (les pages de résultats de recherche). À ne pas négliger donc. Et pour aller encore plus loin, d’un point de vue marketing, en créant de la confiance, les marques améliorent leur taux de conversion ET la génération de leads inbound. Les consommateurs font le travail pour elles. C’est tout bénéf’ !
Et toi, t’as eu quelle note ?
Nous sommes en permanence ciblés par des ads* de marques que nous ne connaissons pas. Face à ces inconnus, les notes font office de bouche-à-oreille. Délibérément nous donnons notre avis par essence subjectif. Délibérément nous jugeons et acceptons d’être jugés. Et au-delà de l’impact psychologique et émotionnel de cet acte, nos appréciations ont un impact économique sur des individus. En avons-nous conscience ?
On se souvient du restaurant « The Shed of Dulwich », qui a été le mieux noté de Londres sur TripAdvisor et qui a fait le buzz car… il n’a jamais existé ! Un canular (nous préférons le terme « expérience ») orchestré par Oobah Butler. Ce rédacteur de fausses critiques a pointé du doigt « la propension de la société à croire n’importe quoi ».
On pense aussi à la série dystopique « Black Mirror » , flippante parce que décrivant un monde si proche de nous. Un des épisodes montrait l’attribution d’une note aux citoyens en fonction de leur comportement. Un système devenu réel quand le crédit social chinois a été instauré. Heureusement de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer ce système de notation visant à contrôler et surveiller la population. Nous sommes sauvés ! Mais jusqu’à quand ?
Nous nous fiions aux avis, sans en vérifier autre mesure l’origine. Pourquoi donc ferions-nous ça puisque c’est l’un de nos congénères qui l’a formulé ? Et oui, la notation joue sur la recherche d’appartenance sociale de tout un chacun.
Notation et employeurs
Il est un point important que les employeurs ignorent souvent (ou ne veulent pas voir). Le ou la candidat.e prêt.e à rejoindre une entreprise va, dans tous les cas, aller voir ce qui se dit sur elle sur internet. C’est là qu’entrent dans la danse les notations que tout un chacun peut déposer. Ici, un avis sur Google, là un commentaire sur la page entreprise de Linkedin, ou encore ailleurs, une note donnée sur Glassdoor… Des avis qui permettent de noter l’ambiance de travail, la rémunération, les possibilités d’évolution ou encore l’attitude de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés. Et ce de façon anonyme (mais ça c’est une autre histoire dont nous débattrons peut-être plus tard).
Les responsables de marque employeur le savent : il est primordial d’assurer une veille, la mise à jour des informations, des réponses aux commentaires. C’est extrêmement important pour l’attractivité de l’entreprise, surtout dans le contexte actuel de pénurie de talents.
Chez Elaee, on a un exemple très précis qui nous revient en mémoire : une jolie agence de Boulogne Billancourt, experte en marketing digital (c’est là que c’est le plus drôle), pour laquelle nous avons eu du mal à convaincre l’un des associés de supprimer ou corriger une de ses réponses en ligne. En effet, ayant subi une attaque virulente d’un ex-salarié (non nommé mais que le boss avait cru identifier), il avait répondu de façon spontanée mais aussi extrêmement agressive. Bien sûr, cela a été un point bloquant pour bon nombre de candidats.
Le problème a finalement été résolu par un gros et long travail de SEO faisant disparaître ce lien en 2e puis les pages suivantes sur Google. Mais le mal était fait et cela a nui, durant plusieurs années, à la crédibilité de cette entreprise.
Notation et ego
On a doucement glissé de l’évaluation des biens et des services à celles des personnes, comme le dit Laurence Allard, maître de conférences en sciences de la communication à Lille 3. « Ce mouvement de notation s’inscrit dans une tendance générale de marchandisation du vivant. Tout est transformé en service. Ce qui était gratuit, comme l’auto-stop ou le fait de prêter sa maison, devient un geste commercial. Les individus eux-mêmes deviennent des choses à évaluer. »
Alors, avouons, en tant qu’individu, qui n’a pas été déçu.e en ne voyant que 10 like sur la photo fraîchement publiée que l’on trouvait si belle ?
Sur les réseaux sociaux, la course aux like et à la popularité ne s’arrête pas. Même si les utilisateurs sont de plus en plus conscients des dérives ou des risques tels que l’estime de soi, la dépression ou l’addiction, notamment sur nos adolescents (voir « Instagram fais-moi mal ! »).
Nous voilà donc, tous, entreprises comme individus, dans un système à petites étoiles, petits pouces levés ou petits cœurs où nous dépendons des autres pour être, au mieux, la meilleure version de nous-mêmes à leurs yeux. Au pire, pour vivre et exister. Argh…
Et sinon, c’est le bon moment pour vous demander une note sur Elaee ? Euh oui, non, ce n’est pas ce qu’on voulait dire… 😉
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