Comment on recrutera demain ?

Un peu angoissant quand même le dernier livre de l’économiste si pédagogue Daniel Cohen (le plus lu de France apparemment)… Angoissant, mais passionnant. Et féroce.
Entendu à la radio pour présenter son dernier bouquin « L’Homo-Numericus, la « civilisation » qui vient (Albin Michel), il explique l’installation d’une nouvelle ère, celle du capitalisme numérique. Installation car la révolution est déjà en marche avec cette prétendue « civilisation » qui bouleverse nos vies :
– l’amour ? Désormais c’est Tinder !
– Le bureau ? En télétravail !
– Les partis politiques ? C’est sur Twitter !
– Un nouveau job ? Ce sont les algorithmes qui recrutent !
Au centre de ce nouveau monde : Homo Numericus, un être submergé de contradictions. Il veut tout contrôler, mais il est lui-même irrationnel et impulsif, poussé à des comportements addictifs par ces mêmes algorithmes qui surveillent les moindres détails de son existence.

Pour Cohen, la révolution numérique est un tournant de l’histoire de l’humanité. Pas seulement une nouvelle étape de la société industrielle. 
Les algorithmes et les réseaux sociaux deviennent des outils de clivage et de sélection.

Sa théorie sur les méthodes de recrutement qui vont connaître un grand tournant nous a évidemment passionnés.

L’intelligence Artificielle fait (presque tout) le job !

L’IA et ses usages font couler beaucoup d’encre, notamment la nôtre sur l’aspect recrutement. Elle était le fruit de nombreux fantasmes littéraires et cinématographiques. Elle a maintenant envahi, petit à petit, nos vies. Et, à en croire Daniel Cohen, elle va s’imposer dans nos prises de décisions.

D’après lui, voilà comment se dérouleront les recrutements dans le futur : les candidats publieront sur Internet leur CV sous format vidéo et ils seront directement contactés par les recruteurs. L’IA scannera le web de fond en comble et déterminera la correspondance ou non des profils avec l’offre d’emploi. Les candidats passeront en quelque sorte un entretien algorithmique, dans lequel l’IA jugera la vidéo aussi bien sur le fond (nos expériences, études…) que sur la forme (notre élocution, gestuelle, comportement…).

Nous allons donc toutes et tous remettre notre carrière professionnelle entre les mains de l’intelligence artificielle… Elle décidera de notre employabilité, de notre valeur-métier en nous mettant en concurrence avec des milliers, non pardon, des millions, de candidats potentiels. Nous serons alors dessaisis de nos décisions, d’autant que les algorithmes pourront aller jusqu’à choisir pour nous le métier dans lequel nos performances et notre productivité seront à leur apogée.

Que font les recruteurs dans tout ça ?

L’objectivité de l’intelligence artificielle fera d’elle un assistant indispensable des recruteurs et recruteuses. Elle leur apportera un jugement purement pragmatique sur les candidats. Elle supprimera des recrutements tous les biais humains (stéréotypes, émotions, influences extérieures, etc.) et réduira drastiquement les erreurs de jugement. Vous y êtes ? Si on pousse la réflexion à son paroxysme, le recruteur ne conservera qu’un rôle de formalité. « Bonjour, vous êtes fait pour ce job. Merci de signer votre contrat ici. »

Nous, ça nous fait froid dans le dos. D’abord, tout simplement parce que la dépendance aux algorithmes est flippante. Ensuite, parce que l’IA s’appuierait sur la prédictivité des comportements humains : elle pourrait réduire à secondaire la prise en compte de la personnalité du candidat. Peut-être même jusqu’à cloner les candidats pour garantir, selon son « raisonnement », un climat sécuritaire et productif. Mais alors quid des profils atypiques, par exemple ? Auront-ils objectivement les mêmes chances ? Et quelles conséquences pour l’équilibre et l’évolution des entreprises ?

Allez, on espère que vous êtes d’accord avec nous : vive l’humain ! Vive le droit à l’erreur ! Vive la différence ! Vive l’audace et le libre choix !

Dans tous les cas, un livre à lire…