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Le recruteur est un voyeur
J’aime bien ce moment où je prends une demi-heure dans mon planning pour faire défiler une partie des derniers CV reçus. A chaque clic, je me demande quelle personne je vais découvrir. Mieux qu’instagram parce que vie réelle.
Suis-je malade ?
Ce frémissement de plaisir à découvrir des parcours de vie peut sembler bizarre et se rapproche nettement de la définition du celle du voyeur. Dans le Larousse : c’est « une personne qui aime à observer les autres, sans participer, qui aime à photographier, à filmer. »
Bon rien de sexuel ni de pervers ici. Ce côté « découverte de l’autre » est uniquement axé employabilité.
Mais quand même, c’est une forme d’intimité que de découvrir la vie professionnelle des autres.
S’il y a une chose que le métier de recruteur apprend, c’est que nous avons tous des objectifs professionnels et des parcours de vie différents. Du coup, cette curiosité nécessaire à comprendre qui est la personne qui nous montre (ce qu’elle veut bien nous montrer) de son parcours de vie, se justifie n’est-ce pas ?
Mater une photo
En général, je regarde en premier le titre du CV ou la dernière expérience mais, lorsqu’il y a une photo, la question « qui es-tu ? » me vient de suite en tête.
C’est marrant comme, à partir d’une photo, on peut s’imaginer toute une vie, un style, une personnalité. Pour avoir été formée à la morphopsychologie, j’en connais les limites et les biais cognitifs. Il ne faut pas s’arrêter à un air extrêmement sérieux ou à des bras croisés. OK.
Me revient à l’esprit ce CV dont la 1re page contenait un portrait pleine page. Tout de même inquiétant sur la perception que le candidat a de lui-même non ?
Scruter un parcours
Souvent, je cherche la formation et je reprends les étapes du parcours (en diagonale je vous l’accorde, car tous les recruteurs lisent les CV en 40 secondes). C’est là qu’on voit les disparités entre chaque candidat. D’aucun aura obtenu un beau job, en droite ligne avec ce que sa formation augure comme carrière.
D’autres, avec le même diplôme, ont clairement fait des choix de parcours différents de la voie royale et sont sur des postes beaucoup plus opérationnels ou qui n’ont rien à voir. Ou alors c’est parce qu’ils fonctionnent à l’envie et qu’ils ne sont pas carriéristes : pour eux le besoin de se sentir bien est prioritaire.
Notez qu’on croise de plus en plus de jeunes diplômés de très grandes écoles qui partent ensuite sur des métiers artisanaux, manuels ou humanitaires.
Découvrir un prénom
S’il existait un blind test pour trouver des prénoms, je pense que je serai parmi les gagnantes ! Au même titre que les effets de style pour présenter son CV, il y a pléthore de prénoms et il ne se passe pas un jour sans que l’un d’entre eux me surprenne.
Othniel, Ivanie, Diaa, Aina, Feriel, Anand, Bleuenn, Sephora… le bonjour à tous !
C’est comme une danse ou une chanson qui s’enchaîne avec cette mode qui consiste à rechercher des prénoms originaux. Qui ne sont pas toujours en accord harmonieux avec les noms de famille d’ailleurs. Je ne donne pas d’exemple, je suis sûre que vous en connaissez.
Regarder le style du CV lui-même
Dans nos métiers de communicants et marketeurs, la forme est bien sûr primordiale. Alors bonjour les outils tout faits qui font tous les mêmes CV. Je peux, au cours des semaines, vous donner ceux qui sont plébiscités. C’est assez amusant.
Mais aussi efficace, car il vaut mieux un CV propre et bien rangé (d’autant que le candidat ne sait pas combien d’autres ont choisi le même template que lui) qu’un CV qui se veut original et qui est illisible en raison d’arc-en-ciel en fond ou de typos gothiques. Oui, oui, ça existe.
Juger d’une mauvaise expérience
Parfois, j’ai de la peine pour certains candidats. N’y voyez pas de condescendance, juste de la tristesse pour du talent gâché. Vous ne voyez pas ce que je veux dire ? Je vous donne un exemple. Isabelle (faux nom) a un doctorat en sciences sociales obtenu à la Sorbonne, chouette. Ses expériences : que des postes d’assistante, soit dans l’édition, soit dans les médias. Et ça fait des années que ça dure. A la limite de l’exploitation. Quel dommage.
Du voyeurisme à la soif d’apprendre
Un truc génial grâce à la lecture des CV : c’est que vous apprenez sans cesse plein de choses. Exemple : l’économie. Cela peut être une entreprise pour laquelle on découvre les chiffres et l’organisation interne, ou un positionnement de start-up sur un projet dont on n’avait jamais entendu parler, ou une marque nouvelle qui va vous faire devenir cliente. Un nom de société inconnu et hop, je vais voir de quoi il retourne (merci au savoir universel digital) et je me renseigne, je découvre, j’apprends.
J’emmagasine donc une certaine culture générale grâce aux candidats, mais pas seulement, j’accède aussi à une connaissance marché fort utile quand il s’agit ensuite de monter une liste de chasse de têtes.
Alors oui, le métier de recruteur a une part de voyeurisme en soi. Cela me semble juste mais j’assume.
Un peu comme un joueur au casino qui frémit en découvrant des chiffres et qui a du mal à s’en passer, je connais et apprécie ce sentiment d’interrogation au moment où je clique sur le fichier joint du CV.
Coupable ou non coupable ?
Coupable.
OK.
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Un commentaire sur “Le recruteur est un voyeur”
Une voyeuse certainement mais vous l’expliquez très bien. Je suis prof de français et moi aussi j’ai un peu cette impression quand je découvre les copies de mes élèves sollicités sur des sujets un peu perso. Bravo pour votre article