Le Magazine
Smart RH : Comment les outils digitaux ont transformé le recrutement ?
Sommaire : Big Data, réseaux sociaux et applications mobiles ont transformé la façon dont les potentiels candidats accèdent aux offres, y postulent et s’informent sur les entreprises.
Les métiers du recrutement – du responsable RH dans un grand groupe au chasseur de tête – sont aussi changés par ces outils qui leur permettent de mieux connaître les attentes, la perception et les ambitions des candidats pour mieux les sourcer et adresser les offres.
Ce que nous retenons des échanges :
- Un nouveau rapport de force s’est créé entre candidats et recruteurs avec le développement des nouvelles technologies et l’usage des réseaux sociaux dans le recrutement.
- Du côté des recruteurs, RH et cabinets cherchent encore les outils adaptés et la place à leur donner pour ne pas perdre l’aspect humain et social.
- Le réseau et la cooptation restent des moyens privilégiés pour garantir un recrutement pertinent.
Pour cette discussion organisée chez Insign, nous avions invité Emmanuel Baratin (Effektiv), Pierre Bussy (Easy Skill), Harold Da Costa (Seb), Charles Genesty (Robert Walters) , Claire Romanet (Elaee), Emilie Sotton (ESDES) et Marie-Laure Porte (AKKA Technologies). La session était animée par Suzanne CASTEL et Robin Coulet et l’article compte-rendu rédigé par Margot Hemmerich.
Pouvoir du candidat et formation des entreprises
Le constat partagé c’est que le rapport de force s’est inversé. Face aux candidats qui cherchent un emploi, les recruteurs ne sont plus en position dominante. “Aujourd’hui, un candidat arrive en ayant déjà fait ses recherches sur l’entreprise : il sait ce qui lui plaît et lui déplaît, il s’exprime, il choisit, en somme c’est lui qui a la main”, entame Claire Romanet, recruteuse au sein du cabinet Elaee, spécialisé dans la création, la communication, le marketing et digital.
“Ça transforme toute la relation que nous entretenons avec les candidats ; le candidat doit être considéré comme un client”, poursuit Claire Romanet.
Surtout, les outils au coeur du recrutement ont évolué. Le recours aux réseaux sociaux s’est généralisé, tant du côté employeurs que candidats. Facebook, twitter, whatsapp, ou le plus utilisé en matière professionnelle : Linkedin. Pour autant, pour Emilie Sotton, directrice de la communication de l’ESDES, s’il faut s’adapter à un changement essentiellement générationnel, les vieux codes sont encore bien présents. “Pour des jeunes de 18 à 22 ans, utiliser les réseaux sociaux est complètement naturel. Pour autant ils ne maîtrisent pas forcément un usage professionnel de ces outils. Or les codes de l’entreprise sont toujours les mêmes, et je pense que le fait de convaincre et de savoir se vendre reste central”.
Chez Adecco, on fait face à un autre enjeu, lié au profil et aux besoins très variés des entreprises et des demandeurs d’emploi. “Ca va du col bleu au col blanc en passant par des managers, donc on a la responsabilité d’accompagner l’évolution des compétences et rendre tout le monde employable sur le marché. C’est un gros challenge pour chaque type d’organisations qui n’ont pas toutes pris le pli de la transformation digitale”, souligne Julien Bernard.
Que ce soit du côté des futurs candidats ou des recruteurs, Ressources humaines comprises, il est devenu indispensable de se former aux nouvelles techniques et aux outils qui transforment le recrutement moderne.
Nouveaux outils du recrutement
“Aujourd’hui, on reçoit nos propositions de candidatures par deux canaux : le traditionnel, et les réseaux sociaux, sur lesquels on a des managers qui regardent et font ressortir les profils qui les interpellent”. Qu’il s’agisse de postuler, de chercher et trouver des candidats, ou même d’aller faire de la prospection puis de la sélection de profils, le recours aux réseaux sociaux est devenu monnaie courante. Même si se mettre en scène, ajouter du folklorique, faire un CV sur instagram ou une vidéo Youtube ne suffit pas. “Ce n’est pas ça qui révolutionne le recrutement”, glisse Emmanuel Baratin, consultant chez Effektiv. Au jour le jour, les recruteurs utilisent surtout les job board, comme Adecco.
“On draine 240 000 candidatures par jour, alors on va utiliser du programmatique ; voir quels pop-up on fait sortir sur les différents sites d’emploi. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à chaque entreprise correspond sa stratégie et son média de recrutement.”, Julien Bernard (groupe Adecco).
“Nous par exemple, on n’est pas forcément disruptifs, mais on va surtout faire un marketwatch de différents outils pour les tester et voir ce qui fonctionne. Ca dépend vraiment de qui on va chercher. Nos stagiaires, par exemple, on peut les trouver sur facebook”, explique à son tour Charles Genesty, Consultant chez Robert Walters. Les agences, comme Elaee, utilisent les réseaux sociaux pour faire du sourcing des candidats. Pour les grosses entreprises surtout, les outils de pré-sélection et de réseaux en ligne apparaissent comme un moyen précieux de gagner du temps. Le réseau Viadéo, utilisé par les professionnels, le recours à un modèle RPO, ou même des outils de test prédictif comme Salesforce. Pour Pierre Bussy, président d’Easy Skill, société de conseil en ingénierie et de recrutement spécialisée dans les énergies, il faut cependant se méfier des effets pervers. “Avec les nouvelles technologies, on crée des clones ! Les algorithmes apprennent et enregistrent nos choix. Ils se basent notamment sur les premiers CV sélectionnés, et les reproduisent. On s’est rendus compte que la machine sortait toujours les mêmes personnes. Alors que notre métier, c’est au contraire de trouver les candidats qui vont être capables d’évoluer, de se façonner à la culture de l’entreprise”. Autre bémol : quand la spécialisation et les compétences recherchées sont pointues, le digital ne permet pas encore de rendre visible tous les profils.“On est 3000 dans le monde, mais même au sein de toutes les candidatures qu’on reçoit, on ne trouve pas toujours la personne adéquate, cela passe par une connaissance de nos viviers pour identifier ces compétences ”, complète Charles Genesty.
Le digital VS l’humain ?
“Il y a un vrai paradoxe entre le fait de vouloir renforcer et développer les outils, et la volonté de se défaire des clones”, Emmanuel Baratin (Effektiv)
Pour la petite agence lyonnaise, le nerf de la guerre réside encore dans le fait d’aller sur le terrain, rencontrer ses clients. Quitte à n’en voir que trois par jour au lieu de 10. “Le coeur c’est de faire du target profile, même si ça demande de la maturité et du temps”. Pour d’autres, notamment pour un géant comme Seb, le digital a au contraire permis de resserrer les liens. “Au début des années 2000, on recevait près de 20 000 candidatures par an sur 12 sites géographiques et bassins d’emploi uniquement locaux, ce qui rendait l’intermédiation très compliquée à gérer, c’est-à-dire faire se rencontrer des besoins et des candidats. Pour nous, introduire du numérique a été une révolution dans le traitement et la personnalisation des candidatures. On a enfin pu avoir un contact direct et rapide avec les gens, ça nous a changé du courrier qui peut mettre trois semaines voire même ne jamais être sûr qu’il est arrivé à son destinataire !”, raconte Harold Da Costa, Talent Development Manager chez SEB.
Une position partagée par Julien Bernard (Adecco), selon qui le digital peut et doit favoriser le social. “Remettre l’humain au coeur du système, ça commence par tenir ses engagements, parmi lesquels celui de rappeler une personne à temps. Et désormais, j’ai des outils qui proposent d’envoyer des mails avec mes disponibilités pour fixer automatiquement des rendez-vous téléphoniques. A mon sens, mieux vaut une réponse toute faite, que pas de réponse du tout”. Si les méthodes pour y arriver divergent, tous convergent vers un même objectif : individualiser. Et cela passe aussi par l’évaluation et l’assessment. “C’est du sur-mesure à chaque fois, d’une entreprise à l’autre, mais aussi d’un territoire et d’une ville à l’autre, les attentes et comportements ne sont pas les mêmes”, souligne encore Julien Bernard.
Le digital au service du réseau et de la cooptation
“Chez Elaee, les consultants ne font pas de prospection commerciale, par contre ils sont tous community managers et animent la communauté. On produit du contenu sur le site internet : ’on s’exprime sur notre métier, on transmet des informations, des fiches métiers… Ca permet un référencement fort”. Claire Romanet insiste elle aussi sur l’intérêt d’apporter à chaque candidature une réponse personnalisée. Car au fond ce qui ressort c’est la nécessité de recréer, sur internet ou en réel, une communauté.
“On fait de la communication proche à proche. On anime une petite communauté. Il y a des clients qui sont en permanence en mouvement, et ils aiment bien conserver ce côté “entre nous”. C’est notre deuxième canal de recrutement, un système de réseau avec des plateformes”, Pierre Bussy (Easy Skill).
Il ajoute : “En Australie ça va encore plus loin, tout se fait par le network. Il faut aller réseauter, participer à de petits évènements, des salons exclusifs…C’est après leurs heures de travail à 17h qu’il faut être présent !”. Pour Effektiv, finalement, c’est un peu comme faire “du slow recrutement”.
Réseau, influenceurs, alumni – anciens élèves de l’école qui continuent à en faire la promotion, chez Akka, qui recrute 3000 nouveaux candidats par an et essentiellement des ingénieurs, on a adopté les outils et gardé des vieilles méthodes. Celle qui marche encore le mieux : la cooptation. “Plus on monte dans le management et plus c’est vrai. Alors oui, on a dû se former aux nouveaux outils et sur la masse ça a aidé, on s’est mis à la page avec les jeunes générations ; pour autant sur l’efficacité des processus de recrutement, c’est indéniable, quand on passe par la cooptation, deux ans après la personne est encore chez nous”, affirme Marie-Laure Porte, de Akka technologies.
En faisant pré-valider un candidat par un salarié en interne qui effectue lui-même une première sélection et joue lui-même son image au sein de l’entreprise, la cooptation continue de faire ses preuves dans de nombreux milieux, surtout dans le middle et top management. Et les primes à la cooptation restent des procédés qui fonctionnent.
La réputation, un enjeu central
Les enjeux de réputation ont toujours été centraux pour une école ou une entreprise qui doit soigner son image. Avec Internet, les sites de notation se multiplient : welcome to jungle, Glassdoor… Si tous les acteurs s’accordent à dire qu’il “n’y a jamais de fumée sans feu”, il faut apprendre à conjuguer avec l’effet démultiplicateur du numérique. Un mauvais avis dans un pays peut entacher toute la boîte.
“Aujourd’hui un recruteur c’est d’abord un communicant”, Claire Romanet (Elaee).
Les candidats, eux, sont formés aux nouvelles pratiques et obligent les recruteurs à prendre le pli. Ils vont passer par les réseaux sociaux pour contacter directement leur potentiels futurs collègues, plutôt que d’attendre un entretien formel avec les ressources humaines. C’est ce qu’explique Émilie Sotton, Directrice communication et Marketing de l’ESDES : “Nous avons nos étudiants ambassadeurs, qu’on forme pour répondre aux étudiants qui viennent se renseigner. Nous leur apprenons à répondre sur les forums, à défendre une image de marque et la réputation de leur école. Et derrière, ce sont ces mêmes étudiants qui, au moment de candidater pour un poste, vont à leur tour aller chercher les vrais gens dans l’entreprise via les réseaux sociaux”.
L’évolution est en cours. D’autres pays sont bien plus avancés dans le processus. Au Royaume-Uni, l’intermédiation et l’externalisation des RH et du recrutement s’élève à 70%, contre 30% en France. On peut aussi favoriser une meilleure prise en compte de la diversité pour chaque profil recherché : favoriser l’accession à des femmes de fonctions où les hommes sont plus souvent représentés, s’assurer de toucher toutes les origines sociales… Au Brésil, SEB recrute déjà 35% des candidats via Linkedin, et whatsapp.
En conclusion, note Suzanne Castel (DG Déléguée Marque Employeur INSIGN), ce qui ressort des échanges tient d’abord à la nécessité des entreprises de prendre à bras le corps ce nouveau rapport de force qui tend à s’instaurer entre les candidats et les recruteurs avec le développement des outils numériques mais on constate aussi ce constat que le social et le digital ne parviennent pas encore à répondre à l’enjeu essentiel qu’est le matching entre le projet personnel et le projet professionnel, contrairement à ce qui est mis en avant et recherché des deux côtés du recrutement. Enfin, ce qui continue à primer et va prendre de plus en plus le lead, c’est cette capacité à individualiser les échanges et le recrutement. Le social et le digital doivent nous permettre d’accélérer toujours plus rien ne remplacer la dimension humaine.
Par Margot Hemmerich, Social Media Club
Article suivant Les soft skills les plus demandées par les employeurs - Article précédent Ne dites plus "profil atypique" dites "mad skills"
Les fiches métiers
Je dépose mon CV
Toute peine mérite salaire
Rémunération, salaire, paie… autant de gros mots qui sont tabous en France, même dans les métiers de la création, de la communication, du marketing et du digital.