Le Magazine
Le futur du travail, enjeux de la nouvelle société technologique et automatisée
L’auteur, Yves Caseau, Directeur de l’agence digitale d’Axa, et ancien responsable de l’innovation de Bouygues Télécom, nourrit un blog sur des réflexions sur l’architecture d’organisation et la gestion des flux d’information.
A son retour d’une semaine passée à la Singularity University de la Silicon Valley, il nous livre un état des lieux sur le futur du travail vu par les plus grands spécialistes mondiaux.
Il s’appuie pour ce faire sur tous les ouvrages parus sur le sujet (« A whole new mind » de Daniel H. Pink, « The second machine age » de Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, « Iconomie » de Michel Volle, « L’emploi est mort, vive le travail !) de Bernard Stiegler, « La révolution transhumaniste » de Luc Ferry, etc.) et s’appuie sur toutes les expériences déjà menées, à l’instar des usines robotisées de Sharp, Amazon ou Tesla.
Il insiste sur le fait que les limites d’aujourd’hui, où l’être humain a encore l’avantage sur les machines, ne seront pas celles de demain. Avec une vision optimiste du futur du travail, où notre monde technologique privilégiera d’abord les métiers « d’interaction », c’est-à-dire sans dimensions émotionnelles, affectives, ou artistiques. Faisant la part belle aux créatifs !
Instructif.
Le futur du travail et la mutation des emplois
1. Introduction
Le billet de ce jour rassemble un certain nombre de réflexions autour du « futur du travail ». Ce sujet est particulièrement d’actualité en ce moment, qu’il s’agisse de la presse ou de la préparation de la campagne présidentielle. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de passer une semaine à la Singularity University dans le cadre du Singularity University Executive Program, ce qui m’a permis d’approfondir mes idées sur le sujet. Ce billet reprend les points principaux que j’ai développé le 12 Octobre lors du séminaire de l’Académie des Technologies, lors d’une conférence intitulée « Emploi et travail dans un monde envahi par les robots et les systèmes intelligents ». Il s’inscrit dans la continuité d’un premier billet écrit il y a deux ans, mais j’ai affiné mon diagnostic et j’ai donc des convictions plus fortes et plus précises.
La première partie fait le point sur la question de l’automatisation – des robots à l’intelligence artificielle – et de son impact sur les emplois. Depuis la publication du rapport de Frey-Osborne en 2012, il y a eu de nombreuses réactions. La plupart sont conservatrices et prudentes, qu’il s’agisse du rapport de l’OCDE ou du livre récent de Luc Ferry. Je ne partage pas ce revirement comme je vais l’exprimer, particulièrement après avoir passé cette semaine à la Singularity University. Je vais au contraire développer une vision de l’évolution du travail dans laquelle l’homme est complémentaire de ces nouvelles formes automatisées de production et de création de valeur.
La seconde partie est une réflexion sur la société à la quelle conduit cette nouvelle vision du travail. C’est, par construction, une contribution à l’iconomie, c’est-à-dire l’organisation de l’économie dans le cadre d’une exploitation pleine et entière des bénéfices de la technologie de l’information, y compris dans ces capacités d’automatisation (lire la définition de Michel Volle). Je propose une vision « fractale / multi-echelle » de l’ iconomie qui réconcilie la domination des plateformes (« winners take all ») et le retour de la « localisation » (la priorité donnée à la communauté et au territoire ) face au désarroi (pour rester mesuré) que cette rupture de paradigme va produire. Dans la tradition des « power laws » de la nouvelle économie, les bassins d’opportunité créés par le progrès technologique ont une structure maillée et multi-échelle qui contient une « longue traine » de micro-opportunités pour microentreprises.
La troisième partie porte sur cette rupture, la transition de phase entre le modèle actuel de l’emploi qui est clairement à bout de souffle et un modèle possible, correspondant à la vision développée dans les deux premières parties. C’est la question fondamentale, et la plus difficile : même pour les partisans d’une vision optimiste du progrès technologique dont je fais partie, la transition qui s’annonce est complexe, voire brutale. Même si le titre du livre de Bernard Stiegler « L’emploi est mort, vive le travail ! » contient un message positif, ce changement n’est pas moins qu’une révolution, qui est par ailleurs déjà engagée. Face à un changement qui s’accélère et des vagues d’automatisation nouvelles qui se dessinent, je suis persuadé que le monde politique a un rendez-vous avec l’Histoire, et qu’un certain nombre de mesures sont nécessaires pour éviter des scénarios noirs qui sont fort bien décrits dans des ouvrages de science-fiction. Il est possible de construire une société équilibrée autour de l’iconomie, mais la tendance naturelle du techno-système, sans intervention et régulation, est d’aller vers la polarisation et l’affrontement.
J’ai résisté à la tentation facétieuse et opportuniste de nommer ce billet « comprendre les causes profondes de l’élection de Donald Trump », mais je pense néanmoins qu’une des causes essentielles de cette élection, qui semble défier le sens commun, est qu’une grande partie des électeurs sentent plus ou moins confusément qu’un monde est en train de se construire dans lequel ils n’ont plus de place. Ce n’est pas une « simple » réaction à la désindustrialisation, c’est une peur de se retrouver « assignés à résidence », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, sans utilité pour cette nouvelle société technologique et automatisée. Le défi qui est devant nous est de rendre l’iconomie « inclusive », c’est-à-dire avec une place pour chacun qui lui permette de contribuer au travers de son activité.
2. Automatisation, Intelligence Artificielle et destruction d’emploi : état des lieux
2.1. Une révolution numérique qui détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée
Depuis l’étude « The Future of Employment » de Carl B.Frey et Michael A. Osborne, qui a annoncé que 47% des emplois seraient menacés aux US par l’automatisation, le débat est intense. D’un côté, il existe de nombreuses études similaires, comme par exemple celle sur le marché UK qui arrive à des résultats du même ordre de grandeur (au UK ou aux US). D’un autre côté, on trouve des études plus nuancées et moins pessimistes, comme celle de l’OCDE ou celle de McKinsey. C’est ce qui fait prendre à Luc Ferry une position plus rassurante dans son livre « La révolution transhumanisme ». Je ne partage pas ce nouvel optimisme. Un des arguments est qu’une partie des tâches, et non pas des emplois, sont touchés. Mon expérience est que les entreprises ont acquis la capacité à redistribuer les tâches pour transformer les gains en efficacité en réduction de coûts salariaux, en dehors d’une hypothèse de croissance.
Ce qui me range dans le camp de l’étude Frey-Osborne, c’est que les arguments des conservateurs reposent sur une analyse du passé sur ce qu’on peut attendre des progrès de l’Intelligence Artificielle. Il me semble imprudent de s’appuyer sur toutes les promesses non-tenues des décennies précédentes pour en conclure que l’automatisation poursuit une lente progression « as usal ». Je vous renvoie au deuxième livre de Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, « The Second Machine Age », pour vous convaincre qu’une nouvelle vague d’automatisation arrive à grand pas, avec une accélération spectaculaire lors des dernières années de ce qui est possible. Les auteurs reviennent en détail sur des avancées telles que les diagnostics médicaux par une intelligence artificielle, les véhicules autonomes ou les robots qui écrivent des articles pour les journaux. Pour reprendre une de leurs citations : « Computers and robots are acquiring our ordinary skills at an extraordinary rate”. Je viens de passer une semaine à la Singularity University et les exemples plus récents présentés pendant cet “executive program” renforcent et amplifient les messages du “Second Machine Age”. Il est assez juste de remarquer, comme le fait Erik Brynjolfson dans un de ses exposés récents, que nous nous ne sommes pas « en crise, mais en transformation », mais cela ne change pas grand-chose au défi qui nous est posé. Dans ce même livre les auteurs nous disent que la transformation produite par la technologie est bénéfique … mais pose des « défis épineux ».
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