Le Magazine
Entretien d’embauche ou entretien d’embûche ?
« Convaincu qu’un CV ne saurait résumer ma personnalité, je me tiens à votre disposition pour convenir d’un entretien dont vous voudrez bien me fixer la date et l’heure ».
Pour le candidat, c’est un fait, il faut s’entretenir. Dans tous les sens du terme si vous me le permettez !
L’entretien avec le recruteur, c’est le premier Graal, qui permet enfin de sortir son CV et sa candidature de l’anonymat.
Ce qui est d’ailleurs amusant, si l’on y réfléchit bien, puisqu’on a tenté dans le même temps d’ériger en référence le CV anonyme. Mais passons notre chemin.
Le recrutement, comme j’aime à le répéter, doit avant tout rester une rencontre.
Mais cette rencontre, si l’on n’y prend garde, peut déraper pour mille et une raisons tout à fait naturelles, qu’il convient de bien analyser.
Un entretien est une forme de communication interpersonnelle, et se trouve donc soumis à de nombreux biais. Comme si tout était réuni, au fond, pour venir perturber cette rencontre.
1. Identifier les jeux de pouvoir
Disons-le d’entrée, les rencontres d’égal à égal sont préférables à celles qui semblent de prime abord déséquilibrées.
Comme dans un rapport de force qui ne dit pas son nom, comme dans une négociation client/fournisseur tendue.
La rencontre candidat-recruteur est de celle-là, à des degrés divers, dans des scénarios par ordre décroissant d’intensité
• 1er degré : demandeur d’emploi débutant – grande entreprise connue et attractive
• 2ème degré : demandeur d’emploi avec expérience – grande entreprise connue et attractive
• 3ème degré : candidat en poste – grande entreprise connue et attractive
• 4ème degré : candidat en poste – grande entreprise dans un secteur pénurique
• 5ème degré : candidat en poste – entreprise de moindre taille dans un secteur pénurique
Avec autant de paliers intermédiaires pour chaque degré listé (durée de la recherche d’emploi etc…)
La probabilité de rencontre comme son contenu vont, on s’en doute, s’en trouver fortement impactés.
2. Poser le cadre…
Tout échange induit un émetteur et un récepteur. Candidat et recruteur, selon les phases de l’entretien, vont occuper à tour de rôle les deux positions.
Emetteur et récepteur ont chacun leur propre cadre de référence. Et c’est là que les ennuis commencent.
Ce cadre est en réalité comme une fenêtre par laquelle on regarde le monde. Cette fenêtre (forme, degré d’ouverture, épaisseur des volets et du verre) est notamment influencée par :
• notre physiologie (nos sens)
• notre expérience de vie,
• l’éducation et la formation que nous avons reçues
qui sont propres à chaque individu.
Les choses ne changent pas : ce qui change, c’est notre regard sur ces choses.
Et à l’intérieur de son cadre de référence, chacun a raison, chacun a ses raisons.
Si l’on applique ces règles de communication à l’entretien, on imagine les infinies possibilités de divergences de vues : telle expérience mise en avant par le candidat peut-elle être vraiment considérée comme une réussite ? Tel résultat obtenu est-il finalement aussi remarquable ? Avons-nous le même regard sur le poste à pourvoir, sur l’entreprise ? Avons-nous le même rapport au temps concernant cette « réponse rapide après entretien » que l’on se promet en se serrant la main ?
3. Evaluer la face cachée de l’iceberg !
Les ennuis continuent.
Et il se pourrait bien que l’entretien d’embauche soit au final l’exercice le plus frustrant au monde !
En effet, l’idée communément admise cliché veut qu’au cours de l’entretien :
• le bon candidat se mette en scène, se valorise, mette en avant ses atouts, tout en masquant habilement ses faiblesses, bien entendu si possible avec une intense préparation préalable
• le recruteur tente de mettre à jour les failles et points de faiblesse du candidat, d’identifier les risques potentiels de la candidature, pour éviter de mauvaises surprises ultérieures
Un exercice qui trouve bien vite ses limites : celles de la face cachée de l’iceberg !
En effet, chaque individu (donc chaque candidat par extension logique) a en quelques sortes 4 facettes :
Les 2 premières seront normalement traitées au cours de l’entretien :
• La zone publique : ce que je sais de moi et qui sera vu par les autres
• La zone cachée : ce qui est connu seulement de moi
Les 2 autres poseront davantage de difficultés :
• La zone aveugle : ce qui est connu seulement des autres (et qui risque de jouer en ma défaveur, ou risque fort de m’être renvoyé sans ménagement)
• La zone inconnue : ce que ni moi ni les autres ne connaissent.
Cette dernière fait écho au « connais-toi toi-même » de Socrate qui nécessite parfois, convenons-en, bien plus d’une vie … mais renvoie surtout le recruteur risk-manager à ses vaines illusions de grand inquisiteur.
4. Surmonter les parasites
Nous avions failli les oublier.
Les parasites, rappelons-le, viennent dégrader chaque message de l’entretien : bruit, interruptions diverses (mails, appels en cours d’entretien, « le chef qui passe une tête »)…
Ils viennent s’ajouter aux traditionnels filtres qui déjà, ont considérablement amoindri sa portée : ce que je veux dire, ce que je peux dire, ce que je dis, ce que l’autre entend, ce que l’autre comprend, ce que l’autre retient…(d’où l’intérêt de prendre des notes exploitables, pour le candidat… comme pour le recruteur).
Parasites, jeux de pouvoir (appropriés ou pas, supposés ou réels, à des degrés divers), différence naturelle des cadres de référence, 4 zones propres à chaque individu : voilà pourquoi l’atmosphère créée par le recruteur responsable va se révéler essentiel.
5. Recevoir « Comme à la maison »
Bien recevoir ses candidats n’est pas un exercice de style ni une belle idée à la mode RSE, c’est une condition incontournable d’efficacité, pour ceux qui en doutaient encore !
Aménager
Puisque le candidat va devoir ‘se mettre à table’, autant que cela soit fait avec un minimum d’intelligence et de mesure d’un point de vue matériel !
Les jeux de pouvoir pourraient vous conduire inutilement à recevoir vos candidats depuis votre bureau, bien assis dans votre confortable fauteuil en cuir, protégé par vos volumineux dossiers en cours de traitement… ou bien encore à opter pour une table et des chaises en verre (imparable m’ont avoué certains, au moins pour les mains moites, les mouvements nerveux des jambes….)… et enfin à vous arroger le droit de ne pas être à l’heure…
Et pourquoi ne pas recevoir les candidats debout tant que vous y êtes ? Ah, pardon, cela se fait déjà dans les forums (le recruteur assis sur un tabouret haut, derrière un comptoir, le candidat debout dans une file d’attente).
Accueillir
Bienvenue. Avec un b comme dans bienveillance. En se présentant, en disant un rapide mot sur le lieu de la rencontre. Pas plus, pas moins. Tout est dit.
Accompagner
Physiquement (venir chercher le candidat soi-même est une marque de respect), mais aussi symboliquement au cours de l’entretien, en précisant d’entrée sa durée, ses différentes phases. Une évidence.
Accepter la différence
Le plus délicat sans doute, tant la tentation du clonage ou du « qui se ressemble s’assemble » est forte. Mais vous serez plus fort(e) qu’elle, ne serait-ce que parce que vous avez compris la notion même de cadre de référence.
4 A pour un double R : celui du Recruteur Responsable.
C’est à ce prix seulement que l’entretien naturellement fait d’embûches deviendra entretien d’embauche.
En ce mois de Décembre, évitez donc l’excès de bûches, pour que ce ne soit pas votre fête, mais celle du candidat Une bonne résolution, un peu en avance.
Passez de belles Fêtes, et merci pour votre fidélité au blog !
Thomas Vilcot, invité Elaee
Source images : autun-infos.com, lefigaro.fr, voreppe.fr, zazzle.fr, moquettes-expos.fr
Article suivant Témoignage, y'a pas de mal à se faire du bien - Article précédent Le salaire d'un cadre en France ?
Les fiches métiers
Je dépose mon CV
Toute peine mérite salaire
Rémunération, salaire, paie… autant de gros mots qui sont tabous en France, même dans les métiers de la création, de la communication, du marketing et du digital.
3 commentaires sur “Entretien d’embauche ou entretien d’embûche ?”
Intéressant de lire le point de vue d’un RH qui tient à ce que l’échange soit égalitaire. Dommage qu’on ne voit pas ça si souvent. en tout cas merci pour l’info sur les 5 niveaux, ça resitue bien le débat en effet.
A comme accueillir. En tant que candidat, on voit de suite à quelle sauce on va être mangé : la secrétaire qui ne nous calcule pas, la salle d’attente pas chauffée, la poignée de mains molle…
Article très intéressant, bien détaillé, et je crois que c’est la première fois que je suis complètement d’accord avec ce type de raisonnement.
Parce qu’il m’est arrivé plus souvent d’être candidat que recruteur, je voudrais commenter cette partie.
Les 4 facettes :
• La zone publique : ce que je sais de moi et qui sera vu par les autres
• La zone cachée : ce qui est connu seulement de moi
• La zone aveugle : ce qui est connu seulement des autres (et qui risque de jouer en ma défaveur, ou risque fort de m’être renvoyé sans ménagement)
• La zone inconnue : ce que ni moi ni les autres ne connaissent.
Comme le dis si bien la conclusion qui cite Socrate « connais-toi toi-même » me semble la clé de voûte d’un entretien réussi.
Être honnête avec soi-même, reconnaître autant ses défauts que ses qualités, savoir qu’une perception peut être tronquée, ne pas s’en offusquer mais en débattre…
J’ai un principe : je ne joue pas ma vie, je suis donc naturelle, détendue, moi-même. Je considère l’entretien d’égal à égal, si j’accepte l’entretien, et que le recruteur accepte de me recevoir, nous sommes l’un et l’autre dans la même position. Nous sommes tout les deux à la recherche, pour moi d’un poste qui me convient, pour le recruteur d’un candidat à la hauteur de ses attentes. Le rapport de force ne peut pas être de mise.
Et ça marche !
Merci