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Après HEC ? Boulanger !
Tout plaquer pour se tourner vers des métiers ou les valeurs humaines ont encore un sens ? Willy Le Devin, journaliste à Libération, a mené l’enquête sur ces cerveaux surdiplômés en quête de sens qui choisissent de changer de vie.
Il suffit parfois d’une simple question pour que le déclic se produise, Lorraine, 23 ans, étudie le droit des affaires lorsqu’un ami lui demande quelles sont ses valeurs ? Désarmée, elle ne sait quoi répondre. Commence alors une pénible remise en question jusqu’au jour où la révélation arrive : « Je massais des amis pour le plaisir et je me suis dit que procurer du bien-être aux gens, c’était mon truc ». Au grand dam de sa famille, Lorraine plaque tout et part pour le Sud-Ouest de l’Inde dans une clinique du Kerala apprendre l’art du massage. Rentrée à Paris depuis quelques semaines, elle passe désormais des certifications pour pérenniser son savoir-faire et devenir masseuse à domicile.
Pour ces « intellos décroissants » comme les surnomment certains sociologues, le jardin d’Eden se trouve souvent dans l’artisanat. Mais pas n’importe lequel, selon Emmanuel Abadia, sociologue du travail : « Ces étudiants très diplômés ne bifurquent pas vers n’importe quelle forme d’artisanat. Ils choisissent des métiers plutôt classieux, ayant pignon sur rue dans les grandes villes, comme le textile de luxe, la pâtisserie, la chocolaterie ou la sculpture. Ces forces vives sont une aubaine pour l’artisanat, qui va profiter de leurs compétences pour se moderniser, investir les nouvelles technologies et les nouveaux moyens de communication. C’est du gagnant-gagnant. »
Pierrick, 33 ans, diplômé d’HEC, a lui décidé d’ouvrir une boulangerie il y a un an de demi. Il se dit « dégoûté par ses années HEC ou tout est fait pour écraser l’autre, tirer profit de tout ». A 27 ans, après un passage par une boîte de consulting, il s’est senti « en rupture totale » et décide de changer de vie. Que pense-t-il de sa nouvelle vie ? « Je suis posé, tranquille. J’ai mes clients, la bonne odeur du pain. Ce n’est pas monotone car j’essaye d’innover, de créer des nouveaux produits. C’est très stimulant. Les gens disent que boulanger, c’est dur parce qu’il faut se lever tôt, mais, l’été, à 2 heures du matin, lorsque je longe la forêt en vélo et que j’entends les oiseaux chanter, c’est le pied ». Avant de conclure : « Je ne voulais plus être complice de ce massacre. Je déteste les idéaux artificiels de la société actuelle. C’est un énorme « Fuck » à tout cela. »
La crise financière et économique qui aura marqué ce début de siècle aura au moins permis à une génération dont l’avenir est très incertain de se remettre en question. Il n’est jamais trop tard.
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3 commentaires sur “Après HEC ? Boulanger !”
Se remettre en question, le mal du siècle. Ah, si tout le monde pouvait travailler cela, on aurait un monde meilleur c'est sûr. Bravo en tout cas à ces "intellos décroissants". Ce terme ne serait-il pas un peu dévalorisant je me demande ?
Les sociologues aiment bien coller des étiquettes !
Toute éducation, même la meilleure, est d'abord un formatage. Se remettre en question passe d'abord par la remise en question des valeurs selon lesquelles nous avons été formaté.